Après Michel Foucault, dans Ce qu'aimer veut dire, puis Hervé Guibert dans Hervelino, Mathieu Lindon prolonge sa suite posthume et terriblement vivante de ...
Mathieu Lindon peut ainsi se remémorer un mot, un moment, un simple trouble qui fait trembler les liens : la place qu’on occupe à la table des repas dans la cuisine, un silence ou un coup de téléphone, une expression laissée en suspens… Si les personnages qui gravitent autour du noyau familial sont tous des écrivains fameux, à commencer par Samuel Beckett, et principalement liés, de près ou de loin, à ce qu’on a appelé le « nouveau roman », comme Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, Claude Simon ou Marguerite Duras, il en est une, absente, à laquelle on peut penser, c’est Nathalie Sarraute, non pas pour l’écriture elle-même, mais pour cette manière de se glisser dans les plis de conscience et le sous-texte de la mauvaise foi, parfois de la mauvaise conscience qui participe inévitablement des relations familiales. Celui-ci ne fait pas semblant de se déguiser en biographe prétendument objectif : il est lui-même, répète-t-il, une archive, extraordinairement vivante et en effet rieuse, dont on constate aussi sur les photos qu’il s’est mis à ressembler singulièrement à son père… Il est d’ailleurs remarquable, à ce propos, que Mathieu Lindon signale que ses propres livres, et les lecteurs qu’ils lui ont apportés, coïncident exactement avec sa vie sentimentale, comme s’il n’y avait pas de « vraie vie » ailleurs que dans ou par les livres. Ce style, c’est bien l’homme : on ne démentira pas ici le vieux Buffon, d’autant qu’il y a dans tous les livres de Mathieu Lindon une sorte de texture autobiographique spéciale, étrangement intime en tout cas : on pense évidemment à cet ensemble de textes magnifiques réunis sous le titre En enfance, mais aussi à des fables parfois à la limite du fantastique, comme par exemple Les Apeurés ou Moi, qui que je sois. Mathieu a d’évidence hérité de cette passion, même si elle ne s’exprime pas par l’édition (une partie de son livre explique dans le détail comment s’est faite la transmission des éditions de Minuit à sa sœur Irène, avant qu’elles ne soient récemment vendues à Gallimard) : c’est un immense lecteur, depuis longtemps chroniqueur littéraire à Libération, et dont on se souvient du portrait photographique que fit de lui Hervé Guibert, souriant légèrement, torse nu, une Pléiade sur les genoux.