Jerry Lee Lewis

Sa légende de toxicomane, de fou d'armes à feu, avait souvent pris le pas sur celle de musicien, d'inventeur. Les deux sont en fait inséparables.

Ces dernières années, on a suivi la trace de Jerry Lee Lewis à la rubrique fait divers. Sam Phillips essaie de lui prouver que, lui aussi, Jerry Lee Lewis peut sauver des âmes et le chanteur explose : « Comment le diable pourrait-il sauver des âmes ? En fait, cette tâche devait revenir à [Nick Tosches, son biographe](https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/10/22/mort-de-nick-tosches-l-ecrivain-qui-fit-du-rock-n-roll-un-roman_6016469_3246.html), l’auteur de Hellfire (1982, traduit en 2001 chez Allia), l’un des rares moments de littérature qu’ait suscité le rock’n’roll. Evidemment pris de boisson, Jerry Lee Lewis demande à Phillips l’autorisation de ne pas enregistrer le titre, se refusant à faire l’œuvre du diable en chantant du rock’n’roll. Le film de McBride, imparfait, tentait de faire le lien entre la légende et l’homme, entre l’idole du rock’n’roll et le personnage sorti d’un roman de Jerry Lee Lewis les rejoignit sur scène pour jouer une version – inoubliable selon les survivants – de Drinking Wine Spo-Dee-O-Dee, de Stick McGhee (1918-1961). Tout était là, dès le départ : un style de piano d’une violence presque mécanique, un rythme martelé, aux antipodes du funk des pianistes noirs, [Fats Domino (1928-2017)](https://www.lemonde.fr/musiques/article/2017/10/26/fats-domino-pionnier-du-rock-n-roll_5206151_1654986.html) ou Little Richard, une voix forte et brutalement sensuelle, qui franchissait allègrement les barrières des sous-entendus. Tourmenté par l’emprise des forces du mal sur sa réussite matérielle, Jerry Lee Lewis n’en continuait pas moins son ascension. A l’âge de 15 ans, Jerry Lee Lewis commença ses études de théologie au Southwestern Bible Institute de Waxahachie (Texas). [Elvis Presley (1935-1977)](https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/08/16/elvis-presley-le-malentendu-de-l-amerique_4252516_1819218.html) venait de quitter Sun pour RCA, et Phillips lui cherchait un remplaçant. Jerry Lee Lewis avait appris à jouer du piano, un talent qui lui permettait aussi bien d’accompagner les cantiques que de reprendre les classiques du blues. Au cours des ans, le rocker avait accumulé tant de rendez-vous manqués – qu’il ne joue pas ou qu’il joue n’importe quoi – que sa légende de toxicomane, fou d’armes à feu, avait souvent pris le pas sur celle de musicien, d’inventeur.